Tous abordent la question sous l'angle de la plus stricte nécessité : la nourriture. Gnathon dans les Caractères de La Bruyère est vorace et ne laisse aux autres que les miettes, incarnant par là le plus complet égoïsme : « il se rend maître du plat, et fait son propre de chaque service ». Les hommes qu'évoquent Victor Hugo et Jacques Prévert souffrent au contraire de la faim : le premier est accusé du vol d'un pain, le second souffre en regardant la nourriture exposée et protégée de tout et de tous sauf des regards des affamés. Tous deux sont confrontés aux tentations : l'homme que voit le narrateur des Choses vues aperçoit une femme argentée, aux signes extérieurs de richesse nombreux ; l'indifférence et plus encore l'ignorance de cette dernière sont violemment condamnées par le témoin : « Cette femme ne voyait pas l'homme terrible qui la regardait ». L'homme de la Grasse matinée feint de se regarder dans la glace : en réalité, c'est « la vitrine de chez Potin » devant laquelle il songe : « cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé. »
Ces trois textes emploient pourtant des voies différentes pour dénoncer les inégalités criantes auxquelles sont confrontées les trois individus : le premier la créant, les deux autres la subissant. Dépeindre un être grossier dans un portrait proche du blâme dans lequel les termes sont péjoratifs, l'ironie palpable, comme c'est le cas dans les Caractères, permet de susciter chez le lecteur le dégoût, la moquerie : il prend ainsi le parti des autres, les bénéficiaires des miettes. Le texte de Hugo utilise un témoignage, vraisemblablement le sien comme l'indique la référence à la Chambre des pairs, à laquelle l'auteur appartient. Ce point de vue interne renforce la dénonciation: une relation triangulaire s'établit entre l'homme, la femme et le témoin qui les voit tous les deux sans être vu lui-même. C'est un fait que l'on peut supposer réel puisqu'il s'est déroulé sous les yeux de l'auteur et est situé précisément dans le temps : «