Dissertations et commentaires
La philosophie du révolté et de l’absurde
Extrait : « Rieux marchait toujours […] c’est la tendresse humaine »
La première version de La Peste a été rédigée en 1943, le texte définitif a été publié en 1947.
L’extrait proposé se trouve dans l’avant-dernier chapitre du roman qui peint les comportement des êtres face à l’épidémie et à la mort. Albert Camus situe sa chronique à Oran. Rieux est médecin.
Rieux marchait toujours. À mesure qu’il avançait, la foule grossissait autour de lui, le vacarme s’enflait et il lui semblait que les faubourgs, qu’il voulait atteindre, reculaient d’autant. Peu à peu, il se fondait dans ce grand corps hurlant dont il comprenait de mieux en mieux le cri qui, pour une part au moins, était son cri. Oui, tous avaient souffert ensemble, autant dans leur chair que dans leur crâne, d’une vacance difficile, d’un exil sans remède et d’une soif jamais contentée. Parmi ces amoncellement de morts, les timbres des ambulances, les avertissements de ce qu’il est convenu d’appeler le destin, le piétinement obstiné de la peur et la terrible révolte de leur cœur, une grande rumeur n’avait cessé de courir et d’alerter ces êtres épouvantés, leur disant qu’il fallait retrouver leur vraie patrie. Pour eux tous leur vraie patrie se trouvait au-delà des murs de cette ville étouffée. Elle était dans les broussailles odorantes sur les collines, dans la mer, les pays libres et le poids de l’amour. et c’était vers elle, c’était vers le bonheur, qu’ils voulaient revenir, se détournant du reste avec dégoût.
Quant au sens que pouvait avoir cet exil et ce désir de réunion, Rieux n’en savait rien. Marchant toujours, pressé de toutes parts, interpellé, il arrivait peu à peu dans des rues moins encombrées et pensait qu’il n’est pas important que ces choses aient un sens ou non, mais qu’il faut voir seulement ce qui est répondu à l’espoir des hommes.
Lui savait désormais ce qui est répondu