La philosophie du travail
Dans un sens très fort, on peut dire que l’art ne sert à rien. Le but esthétique s’oppose au but utilitaire. Un outil cassé est cassé ; une œuvre cassée ou inachevée reste une œuvre. Il existe une opposition entre contemplation désintéressée et labeur utile. Dans ce sens, la pensée classique nie que l'art soit évaluable selon des critères de rentabilité ou d'efficacité. Théophile Gautier et les parnassiens proclament ainsi l'absolue gratuité de l'art (et en profitent pour critiquer vertement la notion d'utilité) : il aurait, en effet, sa fin en lui-même - à la différence d'un outil, par exemple. Un marteau sert à planter des clous : son but diffère de lui-même ; une sculpture, en revanche, n'a d'autre fonction que d'être admirée pour elle-même.
Pourtant, cette analyse soulève aussitôt un problème : si le but esthétique constitue en soi un but, on doit admettre que l’œuvre d’art ambitionne de plaire - plaire au public, s'entend. Tel était d'ailleurs l'un des critères de Hume dans la norme du goût (voir cours sur la diversité des goûts). Aussi l'oeuvre d'art a-t-elle bien une fonction, très générale : celle d’embellir la vie. Partant de ce constat, Nietzsche est ramené à une position beaucoup plus ancienne :
Contre l’art des œuvres d’art. – L’art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous-mêmes tolérables aux autres et agréables si possible : ayant cette tâche en vue, il modère et nous tient en bride, crée des formes de civilité, lie ceux dont l’éducation n’est pas faite à des lois de convenance, de propreté, de politesse, leur apprend à parler et à se taire au bon moment. De plus, l’art doit cacher ou réinterpréter tout ce qui est laid, ces choses pénibles, épouvantables ou dégoûtantes qui malgré tous les efforts, à cause des origines de la nature humaine, viendront toujours de nouveau à la surface : il doit agir ainsi surtout pour ce qui est des passions, des douleurs de l’âme et des craintes, et faire