Le bonheur consiste-t-il en la réalisation de ses désirs ?
Or, cette impasse n’est-elle pas à son tour la conséquence de notre représentation spontanément subjectiviste du bonheur, qui nous porte à considérer celui-ci comme une expérience interne au sujet ? Ne faudrait-il pas plutôt voir le bonheur comme un état objectivement constatable, caractérisant une personne dont la vie peut être qualifiée de « réussie » ? En effet, et quoiqu’en dise Schopenhauer, force est de constater qu’il existe des individus qui s’estiment heureux, ou dont on peut affirmer de l’extérieur que leur vie est souhaitable. C’est en tout cas ce que les stoïciens soutiennent à propos du sage, qui selon eux est une figure accessible à quiconque s’exerce à maîtriser sa volonté. À condition de distinguer la volonté du désir, il serait ainsi possible de se donner comme fin la tranquillité de l’âme (l’ataraxie) qui définit …afficher plus de contenu…
Avant même que nous ayons obtenu sa réalisation, le désir a cette propriété de nous ravir par anticipation en préfigurant la jouissance. Rousseau développe cette thèse dans Julie ou la Nouvelle Héloïse, en montrant que le véritable plaisir se trouve davantage dans l’avant-goût de la satisfaction que dans la satisfaction elle-même (voir texte 6). Pour Rousseau, l’homme est un être de désir (« avide ») et tous ses désirs ne peuvent être comblés car il est limité (« borné »). Cette nature humaine pourrait être source de souffrance par le décalage entre ce que l’on veut (désir) et ce que l’on peut (réalité). Mais la nature humaine possède cette « force consolante » – intermédiaire entre la nature bornée de l’homme et ses désirs infinis – qu’est l’imagination. En quoi est-ce une « force