Littérature
Introduction
Au XVIIIe siècle, le roman est un genre encore mal défini et peu considéré des théoriciens littéraires, en dépit d'un succès croissant auprès du public. Des genres annexes voient donc le jour, qui tentent de contourner les reproches formulés au roman, en particulier son manque de vraisemblance. Parmi ceux-ci se développe notamment le roman par lettres. Il ne s'agit plus d'un récit confié à un narrateur unique, mais d'une correspondance qui peut être polyphonique. L'auteur s'y prétend simple éditeur et tente de dissimuler la fiction derrière la véracité revendiquée des lettres retranscrites, plongeant le lecteur dans l'univers privé de l'échange épistolaire. Selon un critique moderne, « dans le roman par lettres – comme au théâtre – les personnages disent leur vie en même temps qu'ils la vivent ; le lecteur est rendu contemporain du moment de l'action ». Le lecteur de roman par lettres serait donc transporté dans le temps du récit, au cœur même des événements racontés par les personnages. Doit-on alors considérer que lire un roman épistolaire confère à son lecteur un statut spécifique ? Nous discuterons cette affirmation afin d'apporter des éléments de réponse à ce problème en nous basant sur l'œuvre de Montesquieu, Les Lettres persanes, ouvrage majeur de la littérature épistolaire. Nous nous intéresserons d'abord aux rapprochements entre lecteur et personnages que permet le roman par lettres. Nous nous interrogerons ensuite sur la portée exacte de ce rapprochement, pour tenter d'en déduire l'originalité du statut du lecteur de roman épistolaire.
I.
Le roman épistolaire crée nombre de rapprochements entre le lecteur et les personnages, à différents niveaux. Il opère tout d'abord un rapprochement temporel qui découle de la nature même de la lettre : cette forme d'écrit suppose un retour sur des événements récents, faisant partie de l'actualité des personnages. A l'opposé du