Parler est ce le contraire d'agir
On oppose traditionnellement le discours à l'action, le dire au faire. Le bon sens populaire se méfie et s'exaspère devant celui qui fait des beaux discours, mais n'agit pas. "tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire" s'exclame Laverdure dans « Zazie dans le métro ». C'est aussi ce que l'on reproche aux philosophes, aux politiciens.
Montaigne, dans ses Essais, relate une anecdote :
Deux architectes soumettaient leur projet aux Athéniens, qui devaient choisir entre eux. "Le premier, plus affété, se présenta avec un beau discours prémédité sur le sujet de cette besogne, et tirait le jugement du peuple à sa faveur. Mais l’autre, en trois mots :
-Seigneurs Athéniens, ce que celui-ci a dit, moi je le ferai. "
=>morale de l'histoire : méfions nous du beau parleur, dont les discours prétentieux dissimulent peut-être l’incompétence, sous le faux semblant des promesses. Le second homme semble dire que l’important est dans ce qu’on fait, non dans ce qu’on dit…
"tu causes, tu causes, c'est tout ske tu sais faire" nous renseigne sur le soupçon porté au langage quand on le confronte à "l'action". Parler serait ainsi considéré comme le contraire d'agir…et même la preuve que l'on n'agit pas. Un langage qui masque et révèle en même temps l'inaction ou l'impuissance à agir : une parole substitut.
La parole est en ce sens fortement connotée de bluff, voire traîtrise ou simplement mensonge. Pourtant opposer radicalement l'un à l'autre est paradoxal si l'on songe que toute parole est un acte, en tant qu'elle crée un espace relationnel, humain, et bien souvent le modifie.
Dès lors on doit s'interroger sur le sens du terme "agir", peut-être trop restrictif dans sa compréhension la plus immédiate, lorsqu'il suggère uniquement l'acte concret, tangible : matérialisé. N'est-ce pas une fausse compréhension de la notion d'agir qui explique le soupçon porté à l'encontre des "intellectuels", ceux qui "causent mais agissent peu"