Philo
Introduction:
Tout artiste, semble-t-il, doit partir d'un projet, au moins d'une vague idée, avant de réaliser son œuvre. Il serait inconcevable que l'artiste travaille sans savoir où il va. Il doit avoir une intention qui guide son activité créatrice. Comment créerait-il à partir de rien? Une œuvre qui semble le fruit du hasard choque le public. Mais si le projet impliquait une parfaite connaissance de ce que sera l'œuvre une fois achevée, si l'idée préalable était un modèle mental qu'il suffirait de reproduire dans la matière, le travail artistique proprement dit n'aurait rien de créateur. La phase de l'exécution, qui suivrait celle de la conception, serait la simple reproduction d'un modèle imaginaire auquel elle n'ajouterait rien de nouveau. Mais comment expliquer alors cette impression si souvent évoquée par les artistes, que leur œuvre leur échappe, qu'elle dépasse leur intention?
I. La fièvre créatrice
1. «L'image dans le tapis»
Selon une certaine conception de l'art, l'artiste ne sait pas ce qu'il fait. Cette théorie s'appuie sur le constat que l'artiste, interrogé sur son œuvre, montre que sa signification le dépasse. Il s'étonne que le public y trouve un sens que lui-même n'avait pas prémédité. C'est à ce caractère que l'on reconnaît le chef d'œuvre. Sa richesse est infinie. On peut l'interpréter de mille manières. L'Image dans le tapis, nouvelle de Henry James, suggère qu'il est impossible de réduire une œuvre à une seule signification. Un écrivain, Vereker, confie à un jeune critique littéraire que personne n'a compris son œuvre. Selon lui, ses romans contiennent un sens caché, un fil conducteur, comme le motif central d'une tapisserie. Le jeune homme cherchera ce secret en vain, jusqu'à sa mort. Le sens d'une œuvre ne saurait se réduire à un motif unique. De la sorte, chaque époque et chaque civilisation pourra y découvrir un sens qui lui convient. Par conséquent, la valeur du chef-d’œuvre dépasse le cadre limité