"Il serait ridicule de dire qu'un animal a été organisé pour servir de pâture à l'insecte parasite, tandis qu'on ne peut douter que l'organisation de l'insecte parasite n'ait été accommodé à la nature des tissus et des humeurs de l'animal aux dépens duquel il vit. Si l'on y prend garde, et qu'on examine la plupart des exemples qu'on a coutume de citer pour frapper de ridicule le recours aux causes finales, on verra que le ridicule vient de ce qu'on a inverti les rapports, et méconnu la subordination naturelle des phénomènes les uns aux autres. Mais, de ce que les matériaux, comme la pierre et le bois, n'ont pas été créés pour servir à la construction d'un édifice, il ne s'ensuit pas qu'on doive expliquer par des réactions aveugles ou par une coïncidence fortuite la convenance qui s'observe entre les propriétés des matériaux et la destination de l'édifice. Or, dans le plan général de la nature (autant qu'il nous est donné d'en juger), les mêmes objets doivent être successivement envisagés, d'abord comme des ouvrages que la nature crée pour eux-mêmes, en disposant industrieusement pour cela des matériaux préexistants ; puis comme des matériaux qu'elle emploie avec non moins d'industrie à la construction d'autres ouvrages. Intervertir cet ordre toutes les fois qu'il se montre avec clarté, c'est heurter la raison, ainsi qu'on l'a fait souvent, quand on s'est plu à considérer l'homme comme le centre et le but de toutes les merveilles dont il est seulement le témoin intelligent, et dont il n'a encore, le plus souvent, qu'une notion fort imparfaite". Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851), Chapitre V, 66.