Les poètes possèdent leur modèle tutélaire, celui par qui la poésie naquit, Orphée qui s'accompagnait de la lyre, communiquant des frissons aux pierres, charmant les animaux sauvages. Ainsi comprenons-nous que la poésie, y compris la poésie lyrique caractérisée avant tout par un besoin de confidence de la part de son auteur, n'existe que par l'effet qu'elle produit sur ceux qui la lisent ou l'écoutent; donc comment ne possèderait-elle pas la faculté de transmettre des idées tout autant que des sentiments, sans que son auteur cherche à accentuer ou atténuer ses effets? Lorsque Rimbaud, dans Ma Bohême, raconte, sur un ton à la fois lyrique et plein d'humour, ses vagabondages sous "le frou-frou" des "étoiles", les "rimes" qu'il"égrenait" et qui traçaient son chemin de poète, c'est tout un monde dont il nous communique la nostalgie, faisant rêver son lecteur de liberté, sans lui ca- cher les vicissitudes d'une errance où ses pieds sont las dans leurs "souliers blessés." Mais l'intention de communiquer des idées peut être plus directe, plus insistante, quand les poètes s'engagent et choisissent le langage le plus touchant, le moins narratif, pour exprimer une prise de position, un engagement humain, ou politique; René-Guy cadou dans les Fusillés de Chateaubriand cherche à communiquer au lecteur que "toute liberté se survit." Le lecteur d'un poème de Résistance éprouve, sans trouver parfois les mots qu'il pourrait mettre sur ce qu'il ressent, cette foi en la liberté malgré la mort, cette certitude que participer à un combat pour la faire triompher a un sens. Peut-être, grâce à la beauté de la forme, le lecteur éprouve-t-il un bien-être qui lui rappelle que le monde peut redevenir beau; le poème lui dit que cette beauté est lue, partagée, par d'autres; la nature même de la poésie l'aide donc à garder courage,