Prieto
Le mythe de l’original
L’original comme objet d’art et comme objet de collection *
I Il y a un peu plus d’un an j’ai vu, exposée dans un musée de Berlin-Est, une machine à écrire : une Erika portable d’un modèle courant des années 30, laquelle, selon l’étiquette attenante, avait été utilisée dans les imprimeries clandestines de la résistance au nazisme. Peut-être ce qui était écrit sur l’étiquette n’était-il pas vrai, mais de toute façon j’en ai été ému. Le dimanche précédent, en revanche, j’avais vu, sur l’inventaire d’un marchand des Puces de Berlin-Ouest, une machine à écrire de la même marque et plus ou moins du même modèle, et bien que, à vrai dire, je n’eusse aucune raison de penser que cette machine n’avait pas servi elle aussi aux résistants (ni, certes, non plus, de penser le contraire), le fait est qu’elle me laissa totalement indifférent. Je dois reconnaître que j’ai peut-être trop tendance à faire confiance aux conservateurs de musée et que jamais il ne me vient en tête l’idée * Publié originellement sous le titre « Il Mito dell’originale », dans Museo dei Musei, catalogue de l’exposition du même nom, Florence, 1988; traduction française par l’auteur, Poétique 81, février 1990. L’auteur a publié un autre article sur les mêmes problèmes, en italien, dans Studi di estitica, vol. 13, fasc. 2, Bologne, 1985 (« Sull’identité, dell’opéra d’arte ») et, en anglais, dans Versus, 46, Milan, 1987 (« On the Identity of the Work of Art »).
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Luis J. Prieto
que ce qui est écrit sur les étiquettes puisse être un mensonge ni même une erreur. Puisque, par ailleurs, je suis plutôt pessimiste quant à la possibilité de trouver des trésors historiques (ou autres) sur les éventaires des Puces, mes réactions devant l’une et l’autre machine à écrire s’expliquent facilement. Mettons cependant à ma place quelqu’un de moins influencé que moi par ses préjugés favorables ou défavorables ; quelqu’un donc qui n’ait cure, par exemple, ni de ce qui est