Rencontre amoureuse Belle du Seigneur
Assise sur le bord du lit, elle grelottait dans sa robe du soir. Un fou, avec un fou dans une chambre fermée à clé, et le fou s'était emparé de la clé. Appeler au secours? À quoi bon, personne dans la maison. Maintenant il ne parlait plus. Le dos tourné, debout devant la psyché, il s'y considérait dans son long manteau et sa toque enfoncée jusqu'aux oreilles.
Elle tressaillit, s'apercevant que dans la glace il la regardait maintenant, lui souriait tout en caressant l'horrible barbe blanche. Affreuse, cette lente caresse de méditation. Affreux, ce sourire édenté. Non, ne pas avoir peur. Il lui avait dit lui-même qu'elle n'avait rien à craindre, qu'il voulait seulement lui parler et qu'il partirait ensuite. Mais quoi, c'était un fou, il pouvait devenir dangereux. Brusquement, il se retourna, et elle sentit qu'il allait parler. Oui, faire semblant de l'écouter avec intérêt.
- Au Ritz, un soir de destin, à la réception brésilienne, pour la première fois vue et aussitôt aimée, dit-il, et de nouveau ce fut le sourire noir où luisait deux canines. Moi, pauvre vieux, à cette brillante réception? Comme domestique seulement, domestique au Ritz, servant des boissons aux ministres et aux ambassadeurs, la racaille de mes pareils d'autrefois du temps où j'étais jeune et riche et puissant, le temps d'avant ma déchéance et misère. En ce soir du Ritz, soir de destin, elle m'est apparue, noble parmi les ignobles apparue, redoutable de beauté, elle est moi et nul autre en la cohue de réussisseurs et des avides d'importances, mes pareils d'autre fois, nous deux, seuls exilés, elle seule comme moi, et comme moi triste et méprisante et ne parlant à personne, seule amie d'elle-même, et au premier battement de