SCÈNE II DOM JUAN, SGANARELLE. SGANARELLE.- Ah, Monsieur, que j'ai de joie de vous voir converti! Il y a longtemps que j'attendais cela, et voilà, grâce au Ciel, tous mes souhaits accomplis. DOM JUAN.- La peste, le benêt. SGANARELLE.- Comment, le benêt? DOM JUAN.- Quoi? tu prends pour de bon argent ce que je viens de dire, et tu crois que ma bouche était d'accord avec mon cœur? SGANARELLE.- Quoi, ce n'est pas... vous ne... votre... Oh quel homme! quel homme! quel homme! DOM JUAN.- Non, non, je ne suis point changé, et mes sentiments sont toujours les mêmes. SGANARELLE.- Vous ne vous rendez pas à la surprenante merveille de cette statue mouvante et parlante? DOM JUAN.- Il y a bien quelque chose là-dedans que je ne comprends pas, mais quoi que ce puisse être, cela n'est pas capable, ni de convaincre mon esprit, ni d'ébranler mon âme, et si j'ai dit que je voulais corriger ma conduite, et me jeter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ai formé par pure politique, un stratagème utile, une grimace nécessaire, où je veux me contraindre pour ménager un père dont j'ai besoin, et me mettre à couvert du côté des hommes de cent fâcheuses aventures qui pourraient m'arriver. Je veux bien, Sganarelle, t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un témoin du fond de mon âme et des véritables motifs*) qui m'obligent à faire les choses. SGANARELLE.- Quoi? vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous ériger en homme de bien*)? DOM JUAN.- Et pourquoi non? Il y en a tant d'autres comme moi qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même masque pour abuser le monde. SGANARELLE.- Ah! quel homme! quel homme! DOM JUAN.- Il n'y a plus de honte maintenant à cela, l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jouer aujourd'hui, et*) la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages.