La querelle du Tartuffe met en scène, c’est-à-dire exprime et représente, le conflit de deux options culturelles antagonistes et, plus profondément, de deux façons de concevoir la vie sociale, mais qui ne peuvent être correctement appréhendées l’une sans l’autre : le libertinage et la dévotion. Je me garderai bien de tenter ici de donner de ces grandes catégories des définitions précises, mais leur emploi est d’abord commandé par les textes où elles ne cessent d’être mises en avant. Le libertinage forme une catégorie presque exclusivement négative, qui indique la corruption intellectuelle et morale, la dissolution de la piété et des mœurs, la transgression des lois — personne ne pouvant ni ne voulant revendiquer le libertinage ainsi entendu — et d’autre part la dévotion, comme telle incontestée, car la foi et l’observation du culte ne sauraient être mises en cause frontalement et publiquement. Le Tartuffe, relayé par la Lettre sur la comédie de l’imposteur, s’en prend uniquement à la fausse dévotion, à la mauvaise dévotion, présentée comme une corruption de la religion et des mœurs, et un péril pour l’ordre social et politique. * 5 Cf. le texte de l’ordonnance de l’Archevêque de Paris Hardouin de Péréfixe, cité infra. * 6 Cf. Premier Placet présenté au roi et Second Placet présenté au roi,in Molière, Œuvres Complètes, (...) * 7 B. A. Sieur de Rochemont, Observations sur... Le festin de Pierre, in Georges Mongrédien, Recueil (...)
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Ce conflit consiste d’abord à dénoncer les pratiques dissimulatrices et mensongères de l’autre camp, en identifiant l’ennemi à travers, derrière et contre la représentation publique qu’il entend explicitement donner de lui-même. En effet, les accusations respectives sont celles de libertinage et de fausse dévotion, récusées dans les deux cas. Les libertins prétendus — Molière et ses partisans —, affirment parler seulement au nom de « l’honnêteté », en se référant au modèle social et culturel de « l’honnête homme »