Vichy
a France, lorsque paraît l'ouvrage d'Henry Rousso 66, s'est installée depuis quelques années dans une crise de mémoire nationale dont elle n'est, aujourd'hui, toujours pas sortie : elle vit dans une véritable obsession, celle du régime de Vichy, passant comme d'un excès d'oubli, dans les années cinquante, de ce que furent ces quatre années noires (1940-1944), à un excès de remémoration. Henry Rousso étudie au plus près le devenir d'un événement historique non plus dans sa réalité - ce à quoi l'auteur avait consacré ses premiers travaux -, mais dans le travail de réinterprétation de cette période, depuis la Libération, par les différentes mémoires sociales - des partis politiques, des groupes, des générations, ce que par convention simplificatrice il est convenu d'appeler « la mémoire collective ». Que la mémoire devienne objet d'histoire est alors une tendance nouvelle de l'historiographie. François Furet vient juste de montrer combien la part de la réinterprétation de la Révolution française au fil des grandes batailles politiques sur plus d'un siècle est elle-même devenue partiellement constitutive de l'événement 67 ; peu après, Pierre Nora entreprend avec Les Lieux de mémoire son « Histoire de la France par la mémoire » et Jacques Le Goff livre Histoire et mémoire 68. La double originalité de l'ouvrage d'Henry Rousso est d'abord, au plan heuristique, de montrer combien l'obsession des années Vichy, phénomène sans équivalent, fonctionne à rebours de toutes les modalités jusqu'alors communes de la mémoire nationale ; ensuite de voir bientôt ses thèses se diffuser largement au-delà du cercle des professionnels pour gagner le discours des médias sous la forme résolument inversée de son énonciation : le syndrome, qui chez l'auteur manifeste la difficulté qu'a la France à assumer un passé connu, devient, au-delà du premier cercle universitaire, un symptôme, la manifestation d'une maladie cachée, l'impossible forclusion d'épisodes secrets que