Voyage au bout de la nuit, ferdinand et lola
Dans cet extrait, Ferdinand Bardamu, le héros du roman de Céline Voyage au bout de la nuit, est à l’hôpital psychiatrique après avoir participé à la guerre. Il parle avec Lola, sa petite amie américaine, venue lui rendre visite.
"Est-ce vrai que vous soyez réellement devenu fou, Ferdinand ? me demande-t-elle un jeudi.
– Je le suis ! avouai-je.
– Alors, ils vont vous soigner ici ?
– On ne soigne pas la peur, Lola.
– Vous avez donc peur tant que ça !
– Et plus que ça encore, Lola, si peur, voyez-vous, que si je meurs de ma mort à moi, plus tard, je ne veux surtout pas qu’on me brûle ! Je voudrais qu’on me laisse en terre, pourrir au cimetière, tranquillement, là, prêt à revivre peut-être… Sait-on jamais ! Tandis que si on me brûlait en cendres, Lola, comprenez-vous, ça serait fini, bien fini… Un squelette, malgré tout, ça ressemble encore un peu à un homme… C’est toujours plus prêt à revivre que des cendres… Des cendres c’est fini !… Qu’en dites-vous ?… Alors, n’est-ce pas, la guerre…
– Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat…
– Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse tout net avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
– Mais c’est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n’y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger…
– Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous souvenez-vous d’un seul nom par exemple, Lola, d’un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent Ans ?… Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ?… Non,