William blake
Le mariage du Ciel et de l’Enfer
Traduit par André Gide, 1922
Éd. José Corti
Introduction d’André Gide
Le Mariage du Ciel et de l’Enfer dont nous donnons ici la traduction complète, parut en 1790. C’est le plus significatif et le moins touffu des « livres prophétiques » du grand mystique anglais, à la fois peintre et poète. [note : M. Charles Grolleau avait déjà donné en 1900 une traduction du Marriage of Heaven and Hell, précédée d’une remarquable préface.] J’ai conscience que cette œuvre étrange rebutera bien des lecteurs. En Angleterre elle demeura longtemps presque complètement ignorée ; bien rares sont, encore aujourd’hui, ceux qui la connaissent et l’admirent. Swinburne fut un des premiers à en signaler l’importance. Rien n’était plus aisé que d’y cueillir les quelques phrases pour l’amour desquelles je décidai de la traduire. Quelques attentifs sauront peut-être les découvrir sous l’abondante frondaison qui les protège. — Mais pourquoi donner le livre en entier ? — Parce que je n’aime pas les fleurs sans tige. A.G.
* Rintrah rugit et secoue ses feux dans l’air épais ; D’affamés nuages hésitent sur l’abîme. Jadis débonnaire et par un périlleux sentier, L’homme juste s’acheminait Le long du vallon de la mort. Où la ronce croissait on a planté des roses Et sur la lande aride Chante la mouche à miel. Alors, le périlleux sentier fut bordé d’arbres, Et une rivière, et une source Coula sur chaque roche et tombeau ; Et sur les os blanchis Le limon rouge enfanta.
Jusqu’à ce que le méchant eût quitté les sentiers faciles Pour cheminer dans les sentiers périlleux, et chasser L’homme juste dans des régions arides.
À présent le serpent rusé chemine En douce humilité, Et l’homme juste s’impatiente dans les déserts Où les lions rôdent.
Rintrah rugit et