“ Les chants désespérés- c’est bien connu- sont les chants les plus beaux” Depuis le Romantisme, le lyrisme s’est fait l’écho des plaintes du poète dolent : fuite du temps, séparation douloureuse, angoisse de la mort, la poésie traite des émotions les plus sombres et chaque lecteur peut retrouver dans bien des vers ses craintes et ses désirs. Du Bellay déjà au XVIème siècle prétend « enchanter » son mal en le chantant dans un sonnet, adressé à son ami Magny, à qui il se plaint de son séjour forcé à Rome,qu’il perçoit comme un emprisonnement. La poésie le détourne des contrariétés de son exil et le rapproche en pensée de son Petit Liré. Mais que peut-on comprendre derrière l’habile jeu des mots sur la racine étymologique du « chant », en quel sens faut-il comprendre le verbe « enchanter » son mal ? La poésie possède-t-elle vraiment un pouvoir quasi magique ? S’agit-il simplement d’apaiser le mal, de l’endormir ou la poésie peut-elle l’envoûter et le faire disparaître comme par magie ? Y a-t-il d’ailleurs forcément désir d’enchanter le mal qui se dit dans le poème ?
Il va sans dire que la poésie prétend mettre la douleur à distance, l’apaiser en quelque sorte dans la plénitude du poème, tout en, paradoxalement, la donnant à sentir au lecteur. Mais l’on n’écrit pas sous l’impulsion de la douleur dans l’immédiateté du ressenti. Prendre sa plume, se mettre à sa table requiert une mise à distance de ce qui trouble pour le travail de l’écriture lui-même. « Sois sage o ma douleur et tiens toi plus tranquille… », ce vers semble indiquer le préalable à toute composition poétique. Mais plus le moi s’absorbe dans la posture de l’écrivain, du poète, plus le travail poétique avec ses exigences se substitue à la peine, divertit, détourne des affres. C’est l’un des sens possible de l’enchantement du mal par la poésie, cette faculté de le mettre à distance dès qu’il devient sujet du poème, thème à traiter et dès que le poète prend son statut d’artiste, en témoigne par exemple