andre chenier
Poème de cent vers
«Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre Animent la fin d'un beau jour, Au pied de l'échafaud j'essaie encor ma lyre. Peut-être est-ce bientôt mon tour. Peut-être avant que l'heure en cercle promenée Ait posée sur l'émail brillant, Dans les soixante pas où sa route est bornée, Son pied sonore et vigilant, Le sommeil du tombeau pressera ma paupière. Avant que de ses deux moitiés Ce vers que je commence ait atteint la dernière, Peut-être en ces murs effrayés Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Escorté d'infâmes soldats, Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres, Où seul dans la foule à grands pas J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime, Du juste trop faibles soutiens, Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime; Et, chargeant mes bras de liens, Me traîner, amassant en foule à mon passage Mes tristes compagnons reclus, Qui me connaissaient tous avant l'affreux message, Mais qui ne me connaissent plus. Eh bien ! j'ai trop vécu. Quelle franchise auguste, De mâle constance et d'honneur Quels exemples sacrés, doux à l'âme du juste, Pour lui quelle ombre de bonheur, Quelle Thémis terrible aux têtes criminelles, Quel pleurs d'une noble pitié, Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles, Quels beaux échanges d'amitié, Font digne de regrets l'habitacle des hommes? La peur fugitive est leur dieu; La bassesse, la feinte. Ah ! lâches que nous sommes Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu. Vienne, vienne la mort ! Que la mort me délivre ! Ainsi donc mon cœur abattu Cède au poids de ses maux? Non, non. Puissé-je vivre ! Ma vie importe à la vertu. Car l'honnête homme enfin, victime de l'outrage, Dans les cachots, près du cercueil, Relève plus altiers son front et son langage, Brillants d'un généreux orgueil. S'il est écrit aux cieux que jamais une épée N'étincellera