Proposition de commentaire Guillaume Apollinaire (1880-1918) occupe une place singulière dans la littérature française : il se place en effet à une époque charnière. Il incarne l’entrée dans la modernité au tournant du siècle mais aussi les audaces artistiques qui vont éclore tout au long du XXème siècle. Il ne s’agit plus simplement de représenter le réel, d’en proposer une photographie, mais de l’augmenter par la création d’une réalité nouvelle. L’œuvre ne doit plus être « mimesis » mais « poïesis », c’est-à-dire construction, création, transfiguration. Le recueil, Alcools, 1913, manifeste cette esthétique nouvelle. Son titre, bien sûr fait référence à Rimbaud, et à son « Bateau ivre », qui prône dans l’écriture « un dérèglement de tous les sens », une exaltation de l’imagination ; mais le pluriel du titre indique aussi la volonté de son auteur de mélanger tous les genres, toutes les formes, tous les tons, toutes les sortes d’inspiration dans un désordre savant qui équilibre le moderne et le classique. « Aubade chantée à Laertare un an passé » est le passage d’un long poème composé de 59 quintils, « La Chanson du Mal-Aimé », qui fait partie du « cycle d’Annie » (Annie Playden est une jeune Anglaise rencontrée en 1901 dont Apollinaire est tombé amoureux) : il traduit la souffrance du poète rejeté par sa maîtresse. Seul intermède joyeux, cette « aubade » de trois quintils est une sorte de chanson campagnarde du matin, destinée à être chantée à l’aube, sous la fenêtre de la « belle », à une période où l’on commence à sentir les prémisses du printemps : Laertare est le quatrième dimanche du Carême. Comment Apollinaire parvient-il ici à allier tradition et modernité dans un poème qui a la forme d’une chanson ? Pour tenter de répondre à cette question, nous montrerons tout d’abord que ce poème tisse des liens de manière un peu hétéroclite avec des textes anciens ; puis nous étudierons la dimension parodique de cette réécriture qui manifeste le désir d’Apollinaire