les ponts d'arthur rimbaut
Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.
"Les Ponts", du recueil des Illuminations, est précédé de "Ouvriers » et suivi de "Ville". C'est un poème qui tire sa modernité d'une réalité connue du lecteur contemporain, la ville. Déjà Baudelaire avait fait entrer en poésie les grandes cités de cette ère nouvelle industrielle et on les retrouve dans les "Tableaux parisiens" des Fleurs du mal. Il s'y était montré plus rêveur que peintre et dessinateur. Rimbaud va quant à lui nous brosser de véritables tableaux, échafauder des architectures concrètes, relevant avant l'heure d'un impressionnisme ou d'un cubisme. Les Ponts de Rimbaud sont une réussite du poète peintre ou architecte. Le titre est déjà révélateur, formé d'un substantif et d'un article défini. L'article les permet au poète de feindre de se référer à une réalité pour englober avec le pluriel la généralisation d'une nouvelle réalité. Dans le poème Rimbaud nous révèle toute l'étendue de sa palette, des phrases nominales, courtes, des petites touches qui se succèdent en rompant brutalement avec ce qui précède. Cette technique invite le lecteur à prendre du recul par rapport à ce qui