Baudelaire
Prise de vue
Voyou, voyant ou voyeur : Baudelaire résiste aux attaques du substitut Pinard, à l’esprit prophétique dont le gonfle Rimbaud, nouvel évangéliste, au nœud de complexes où essaie de l’étrangler Jean-Paul Sartre, son « semblable », son « frère ». Mais il doit triompher d’autres pièges : la biographie, l’esthétisme, l’histoire, pour retrouver son visage.
On ne tente pas d’expliquer Il Giorno par les multiples liaisons de l’abbé Parini, ou le pessimisme de Swinburne par le mariage consanguin de ses parents ; mais on accumule à plaisir sur Baudelaire des détails analogues. « Bénédiction » ? Le signe même de l’attachement à la mère devenue agressive à la suite de son remariage avec un croquemitaine pour orphelins, le commandant Aupick. « La Vie antérieure » ? Une page arrachée au carnet du Paquebot-des-mers-du-Sud. « La Muse vénale » ? L’humiliation de la tutelle exercée par maître Ancelle, sans laquelle, on s’en doute, Les Fleurs du mal n’auraient jamais vu le jour. « À une madone » ? Le cri vengeur d’un amant bafoué, après une fugue de Marie Daubrun en compagnie de Banville. « Le Rêve d’un curieux » ? Un dialogue de Baudelaire-le-croyant avec l’incroyant Nadar. Une mention spéciale, dans tout ce fatras, au chapitre femmes, de Sarah-la-louchette, l’initiatrice ( « Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive »), à « la belle aux cheveux d’or » et aux yeux verts ( « L’Irréparable »), en passant bien sûr devant les deux figures figées du diptyque, Jeanne Duval et Mme Sabatier, la vénus noire et la blonde madone, le démon et l’ange sauveur...
La réalité est plus complexe. Peut-on prouver que Jeanne est l’insatiable, et Marie Daubrun le beau navire ? Le jeu des identifications est périlleux. La distinction de « cycles » reste floue et varie d’exégète à exégète.
Ou la réalité est plus simple, et le titre des Fleurs du mal en donne la clef.