Camus-l'envers et l'endroit
Je pense à un enfant qui vécut dans un quartier pauvre. Ce quartier, cette maison ! Il n’y avait qu’un étage et les escaliers n’étaient pas éclairés. Maintenant encore, après de longues années, il pourrait y retourner en pleine nuit. Il sait qu’il grimperait l’escalier à toute vitesse sans trébucher une seule fois. Son corps même est imprégné de cette maison. Ses jambes conservent en elles la mesure exacte de la hauteur des marches. Sa main, l’horreur instinctive, jamais vaincue, de la rampe d’escalier. Et c’était à cause des cafards.
Les soirs d’été, les ouvriers se mettent [63] au balcon. Chez lui, il n’y avait qu’une toute petite fenêtre. On descendait alors des chaises sur le devant de la maison et l’on goûtait le soir. Il y avait la rue, les marchands de glaces à côté, les cafés en face, et des bruits d’enfants courant de porte en porte. Mais surtout, entre les grands ficus, il y avait le ciel. Il y a une solitude dans la pauvreté, mais une solitude qui rend son prix à chaque chose. A un certain degré de richesse, le ciel lui-même et la nuit pleine d’étoiles semblent des biens naturels. Mais au bas de l’échelle, le ciel reprend tout son sens : une grâce sans prix. Nuits d’été, mystères où crépitaient des étoiles ! Il y avait derrière l’enfant un couloir puant et sa petite chaise, crevée, s’enfonçait un peu sous lui. Mais les yeux levés, il buvait à même la nuit pure. Parfois pas-sait un tramway, vaste et rapide. Un ivrogne enfin chantonnait au coin d’une rue sans parvenir à troubler le