Charles Baudelaire (1821-1867) Pour Baudelaire, les grands artistes sont d’abord de grands transfigurateurs. Mais cette transfiguration n’est pas embellissement ou idéalisation. L’artiste de génie sait extraire de la nature, comme l’alchimiste, ce qu’elle contient de puissance et d'harmonie cachées. Voilà pourquoi l’essence du génie réside dans ce que Baudelaire nomme « surnaturalisme ». La faculté qui permet à l’artiste de percevoir et de rendre cette surnature, c’est selon Baudelaire l’imagination « reine des facultés ». L’imagination ainsi entendue n’est pas la fantaisie, mais « une faculté quasi divine, qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies ». Si la création de l’œuvre est du côté de « l’imagination », sa réception n’exige pas moins que se déploient une faculté intuitive et une capacité à rêver : c’est pourquoi, selon une admirable formule, les grandes œuvres ouvrent « de profondes avenues à l’imagination la plus voyageuse ». C’est là un grand enseignement de Baudelaire, qu’approfondira Marcel Proust. On conçoit dès lors l’opposition de Baudelaire au réalisme : non que les sujets lui paraissent vils en eux-mêmes (Baudelaire dénie d’ailleurs toute importance de « sujet »), mais le réalisme lui paraît s’égarer en croyant à une vérité objective qu’il s’agirait de rendre fidèlement. Baudelaire reste fidèle à la conception de l’art imposée par le romantisme : l’artiste doit dévoiler la signification secrète des choses, déchiffrer leurs analogies, pénétrer l’intimité de tout. Il se fait jour une « aspiration vers l’infini » d’ordre métaphysique, vers un Dieu caché ou absent, et chez Baudelaire lui-même, vers l’absolu de la Beauté. A cet égard, Delacroix, Wagner, E. A. Poe accomplissent le Romantisme : leurs œuvres, profondes et mélancoliques, répondent à l’aspiration humaine vers une beauté supérieure et entrouvrent la porte d’un paradis spirituel