Commentaire de fantaisie (nerval)
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ; Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue... — et dont je me souviens !
Remarques préliminaires :
Recueil publié en 1852. Historiquement : prise de pouvoir par Louis-Napoléon Bonaparte. Période d’instabilité politique post-révolutionnaire. Nerval : aristocrate, poète affilié au mouvement romantique.
Poème construit autour d’une analepse (flashback) à l’époque de Louis XIII ( XVIIe siècle) provoqué par l’écoute d’un “air” mystérieux : seules caractéristiques, sous formes d’adjectifs qualificatifs épithètes : “très vieux, languissant et funèbre”. Plan métaphysique : c’est l’âme même qui rajeunit.
Trois mouvements :
1- évocation de la mélodie, ritournelle obsédante (v.1 à v.6)
2- vision intérieure/réminiscence (v.7 à v. 16)
3- reprise de conscience : thème de la vie antérieure (v.17)
Projet de lecture :
Thème de la vie antérieure : fantasme de l’ordre ancien (nostalgie / poète-voyant)
Thème de la dualité “je” réel / “je” intérieur (“je est un autre”)
Pour le poète, et pour lui “seul” – individualisation romantique – cet air a plus de valeur que toute la musique classique européenne reconnue, représentée par Rossini (Italie), Mozart, Weber (Allemagne). Thème probablement populaire, puisqu’il est très vieux => il est parvenu jusqu’au XIXe s.. Languissant : lent. Funèbre : triste, digne d’un enterrement.
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