Cratyle hermogene
Jean-Sébastien Hardy, Université Laval
On caractérise souvent la philosophie contemporaine par l’espace privilégié qu’y tient la question du langage. C’est que, depuis la publication des Cours de Saussure, le langage s’est avéré être pour nous cette instance quasi souveraine qui toujours préoccupe la réflexion, et ce, dans les multiples acceptions que nous pourrions faire du terme. De fait, la pensée n’est plus ce discours silencieux de l’âme avec elle-même, mais bien plutôt ce qui, sans les mots qui en sont la chair, n’est qu’une «masse amorphe», une «nébuleuse». Difficile donc pour un philosophe du vingtième siècle –fût-il phénoménologue ou néo-kantien– de ne pas se pencher sur la question embarrassante du langage qui «n’est [plus] une question philosophique inter alia, mais leur préalable obstiné[1]». Du reste, de quoi retourne ce tournant linguistique et qu’en retombe-t-il ? Ce sont là des questions qui déjà débordent et dérivent. Mais maintenons-nous y le temps de prendre acte du fait qu’en circulant par des penseurs aussi décisifs et incisifs que Wittgenstein et Derrida, le problème du langage nous laisse un héritage fracassé. Non pas que leurs idées déjà soient obsolètes ou réfutées, mais bien plutôt qu’elles ébranlent sérieusement ce dont elles prétendent sortir: la métaphysique. À la suite de Nietzsche, l’immense point d’interrogation que celles-ci ont tourné sur le langage met radicalement en cause la philosophie dominante qui a cheminé de Platon à Husserl en passant par Hegel. Tout comme si, étrangement, le retour de l’esprit dans l’histoire dont traite ce dernier prenait la forme d’un réveil des premiers sophistes, penseurs chez qui trouvèrent racine les premières investigations linguistiques. Aussi Protagoras et Hippias reviendraient-ils sous la peau d’un Derrida, Prodicos et Gorgias sous la forme d’un Lyotard...
Et de fait, nous sommes aujourd’hui trop bien au fait de cette idée d’une éclipse du phénomène linguistique