Dialogue Voltaire Rousseau
Quelques jours après la publication du « Supplément au voyage de Bougainville » dans « Correspondance littéraire », Voltaire se rend chez Jean-Jacques Rousseau, à l'hôtel Saint-Esprit, pour discuter avec lui du conte de Diderot.
François-Marie Arouet, dit Voltaire : - Bonjour cher Jean-Jacques. Comment vous allez-vous aujourd’hui ?
Jean-Jacques Rousseau : - Fort bien cher Jean-Marie ? Que nous vaut l’honneur de cette visite matinale ?
V : - J’imagine que vous êtes au courant. Denis (Diderot) vient de publier son tout dernier conte. L’avez-vous lu ? Il parait que le tout Paris se l’arrache.
J-J. R. : - Bien évidemment. Malgré les querelles qui nous opposent1 à présent, je ne voudrais pour rien au monde manquer ses nouvelles créations.
V : - Je l’ai lu d’une traite. Et vous ? Qu’en avez-vous donc pensé ?
J-J. R. : - Et bien, difficile de résumer en une phrase mes premières impressions. Disons que c’est une œuvre riche et complexe à la fois. Diderot a réussi la prouesse littéraire à superposer deux genres : le dialogue philosophique et le conte. J’ai beaucoup apprécié cette succession de textes enchâssés dans le récit-cadre. Malgré tout, j’ai bien du mal à classer cette œuvre. Peut-être à mi-chemin entre utopie et conte philosophique… Qu’en dites-vous ?
V : - Fort bien analysé cher ami. J’ai pour ma part été très touché par les thèmes abordés dans ce récit. Le discours du vieillard est tout simplement magnifique. On y trouve une description du bonheur presque à chaque phrase : « nous sommes innocents [...] Nous sommes heureux […] Nous suivons le pur instinct de la nature […] Nous sommes libres […] Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir […] » Cette douceur de vivre est pour le moins rafraichissante, non ?
J-J. R. : - Certes Jean-Marie. Mais plus que la description du bonheur, j’ai surtout vu dans le discours de Diderot une volonté de dénoncer la perversion de l’idéal naturel