Dissertation littéraire sur les fables
Le théâtre et le temps Anne Ubersfeld Ouvrir un tel colloque est un honneur, mais un honneur dangereux. Comment éviter sur une question pareille de se révéler cuistre ou banal ? Sans compter le danger d’être à la fois cuistre et banal… Acceptons de dire des vérités qui courent les rues. Le théâtre est un lieu du temps ; pour mieux dire, sa matière est le temps, parce qu’il est le lieu de l’irréversible. Sur scène la seconde qui s’enfuit a dit ce que la seconde qui suit ne pourra dire. Éternellement enfuie la seconde. C’est aussi vrai de la musique : l’irréversible est en elle aussi. Mais le théâtre, lui, doit se battre avec ce qui dure, il s’affronte à l’espace : c’est que l’espace est le lieu où peut se dire une expérience humaine, fût-elle réduite au rapport d’un seul homme et de son monde. Le théâtre doit rendre compte de ce qu’il advient de ce moment de l’expérience humaine dans sa totalité espace-temps. Irréversible le théâtre, d’une façon plus dramatique que la musique, puisque lié à la parole – à la parole créatrice d’événements : dire, c’est faire, inscrire dans le monde un événement. Irréversible, certes, et si le temps s’y inscrit si fortement dans les meilleures formes, c’est qu’une histoire est dite, une fable. « Racontez ! » demande le spectateur ; « racontez-moi une histoire, un conte qui ait un commencement et une fin. » Mais quelle fin, si ce n’est la mort ? Le rideau tombe et c’est une mort – une expérience de la fin du temps. Le rideau se relève… ou les acteurs, les voilà les acteurs, la mort devient provisoire. Toute représentation théâtrale est un pansement provisoire à la certitude de mourir. Mais lié au temps comme à sa propre chair, le théâtre est aussi un lieu de la provocation du temps. La répétition est victoire sur le révolu, le définitivement achevé, puisque l’on peut recommencer. La répétition est victoire sur la clôture du temps. Mais, ne l’oublions pas, le théâtre existe même