ganrgantua chapitre
Le bonhomme Grandgousier, pendant qu'il buvait et se rigolait avec les autres, entendit l'horrible cri que son fils avait poussé en entrant dans la lumière de ce monde, quand il braillait pour demander: "A boire! à boire! à boire!" Ce qui lui fit dire: "Que grand tu as!"(sous-entendez le gosier). A ces mots, les assistants dirent qu'assurément il devait, pour cette raison, recevoir le nom de Gargantua, pour suivre le modèle et l'exemple des anciens Hébreux, puisque telle avait été la première parole de son père à sa naissance. Grandgousier y condescendit, et la chose convint tout à fait à la mère. Ensuite, pour apaiser l'enfant, on lui donna à boire à tire-larigot, puis il fut porté sur les fonts, où il fut baptisé, comme c'est la coutume des bons chrétiens.
Et dix-sept mille neuf cent treize vaches de Pontille et de Bréhémont lui furent dévolues par ordonnance pour son allaitement ordinaire. Car il n'était pas possible de trouver, dans tout le pays, une nourrice satisfaisante, vu la grande quantité de lait nécessaire à son alimentation, bien que certains docteurs scotistes aient affirmé que sa mère l'allaita et qu'elle pouvait traire de ses mamelles quatorze cent deux feuillettes et neuf potées de lait à chaque fois, ce qui n'est pas vraisemblable, et cette proposition a été déclarée mamallement scandaleuse, blessante pour des oreilles capables de piété, et sentant de loin l'hérésie.
Il passa à ce régime un an et dix mois; quand il parvint à cet âge, sur le conseil des médecins, on commença à le sortir et une belle charrette à boeufs fut construite grâce à l'ingéniosité de Jean Denyau, dans laquelle on le promenait de ce côté-ci, de ce côté-là, joyeusement; et il faisait bon le voir car il portait bonne trogne et avait presque dix-huit mentons; et il ne criait que bien peu, mais se conchiait à tout moment, car il était prodigieusement flegmatique des fesses, tant par complexion naturelle