« Que grand tu as » : l'origine supposée du nom du héros nous place aussitôt sous le signe de la démesure. Les ressources déployées au service des conventions gigantales, la nature des exploits comme le formidable appétit manifesté par tous dans tous les domaines, parachèvent l'énormité du récit et peuvent laisser croire à quelque farce composée dans le temps d'une ivresse. Le prologue, néanmoins, nous en prévient : gardons-nous de ne pas ouvrir ce "Silène" et de ne pas rompre l'os pour en sucer "la substantifique moelle". Les précautions prises par le narrateur dans cette visée apologétique prennent une allure d'évidence dès lors que les aventures du héros le conduisent à un raffinement progressif de ses mœurs et que l'on y parcourt tous les centres d'intérêt de l'Humanisme. La question est donc bien de savoir où l'on nous conduit : va-t-on simplement de la démesure à la mesure ? Autrement dit, faut-il voir dans l'évolution du héros un progrès vers une humanité finalement détachée de ses dérèglements animaux ? Si cet aspect n'est pas tout à fait étranger à l'économie générale du roman, ils nous paraît cependant bien vite réducteur : l'utopie de Thélème correspond-elle toujours à la mesure, envisagée comme modération et contrainte ? Un personnage comme frère Jean des Entommeures, à qui justement est destinée cette abbaye, incarne-t-il vraiment ce modèle assagi ? Il nous faut affiner notre progression et considérer que le rire de Rabelais nous convie à tout autre chose qu'un « juste milieu ». Le tableau ci-dessous donne un exemple d'une lecture possible du roman à travers un plan qui pourrait être celui d'une dissertation dialectique : si l'œuvre ne manque pas d'aspects démesurés, elle nous fait néanmoins assister à la conquête d'une mesure, qui ne saurait pourtant renoncer à des excès positifs capables de satisfaire le vœu du narrateur : « Vivez joyeux ».
Complétez ce tableau à l'aide des références des pages du roman qui vous paraissent les