Identité et différences "Vivre de nos différences" : le titre de ces journées est bien choisi mais il me paraît presque un peu tautologique. A quoi d'autre qu'à des différences la vie s'alimente-t-elle donc? La vie, même à son niveau le plus élémentaire, est-elle autre chose que création incessante de différences, peut-on même concevoir la vie autrement que comme un processus indéfini et ininterrompu de production de différences? Cela n'est pas seulement vrai au niveau élémentaire (division et différenciation des cellules), et pour tout le règne du vivant (c'est la différentiation qui fait la différence entre le vivant et l'inerte), mais c'est encore plus vrai de la vie humaine à tous ses niveaux. Sans entrer dans le problème complexe et fondamental du temps, la vie est avant tout, quelque soit le type d'activité considéré, un processus temporel. On a dit (souvent pour le déplorer) qu'il n'y a pas d'arrêt dans le temps, que le temps ne cesse de s'écouler, que rien ne demeure jamais dans le même état, et que pour un être aussi essentiellement lié au temps, être c'est devenir. Or on ne devient qu'en étant sans cesse autre que ce que l'on est; devenir c'est changer, même si le changement est trop lent ou trop petit, ou aussi trop continu pour être aperçu . Vivre, c'est différer sans cesse de soi, si bien que le soi ne peut jamais être représenté comme quelque chose de bien déterminé, de stable, de répétable. Le soi est mouvement et continuelle différenciation; ou bien il n'est plus. Le processus de différenciation cesse avec la vie, quand la matière reprend le dessus et impose le règne de l'identité. On ne peut donner de prédicat stable qu'à un être considéré comme stable, sinon ce prédicat risquerait de ne plus lui convenir l'instant d'après avoir été formulé. C'est pour cela que l'on disait dans l'Antiquité qu'on ne pouvait savoir qu'à sa mort si un homme avait eu une vie heureuse. Car la vie n'est pas dans le temps comme le poisson est dans l'eau; il