la logique et la jalousie
Alexandre Adler
18 octobre 2001 Courrier International
L’Europe est-elle antiaméricaine ? Beaucoup moins, dans ses forces profondes, qu’elle ne l’a jamais été depuis le 11 septembre 2001, mais assez toutefois pour faire encore éclater en sanglots un ambassadeur des Etats-Unis sur un plateau de la BBC.
Il existe des antiaméricanismes logiques, des antiaméricanismes fondés, des antiaméricanismes inconséquents. Chacun ne signifie pas tout à fait la même chose.
L’antiaméricanisme logique tout d’abord. L’Amérique, toute l’Amérique, même l’Amérique ibérique par son moi idéal bolivarien, exprime le rejet de l’Ancien Régime, la volonté de bâtir une cité libre fondée sur la liberté de conscience. A cela l’Amérique anglo-saxonne ajoute l’amour du travail, l’égalité des chances dans un marché libre, le refus de toute aristocratie de naissance. Le respect plus ou moins grand de ces normes par les groupes humains historiquement constitués nous importe moins ici que leur fonctionnement comme sens commun d’une société. Ni l’esclavage, rejeté d’emblée par une large majorité des autorités morales du pays, ni la constitution de dynasties qui se sont même glissées dans le Gotha à partir pourtant du suffrage universel et de la richesse acquise n’infirment ce constat sans cesse répété.
En ce sens, rien n’a changé depuis le voyage de Tocqueville, il y a un siècle et demi : l’Amérique demeure bel et bien cet horizon utopique de la démocratie, qui fonctionne comme un repoussoir pour tous les conservatismes terriens de la vieille Europe et pour les aristocraties dirigeantes, au discours souvent pervers, qui pensent à l’unisson de ces conservatismes, en Russie, au Moyen-Orient ou en Inde.
Cet antiaméricanisme logique discerne parfaitement ce qui menace l’ordre ancien depuis l’autre rivage de l’Atlantique : la promotion méritocratique générale, la mobilité du travail, la réduction des distinctions aux critères quantitatifs de l’argent, le désétablissement