La main blaise
C’est dans le plus intense des bonheurs ou dans le pire des drames que la grandeur d’un homme se révèle. Blaise Cendrars, poète amoureux fou de la vie qui enterrera beaucoup d’amis dont l’illustre Guillaume Apollinaire en 1918, a vingt-sept ans lorsqu’il s’engage dans la Légion. Il s’est marié d’impromptu la veille de monter au front. Ce pauvre poilu qui ne payait pas de mine dans son falzar de curé, sa capote raide de boue aux pans déchirés par les barbelés, son képi de traviole à la visière cassée, ne pouvait s’empêcher de rigoler devant l’absurdité de cette grande guerre usinière, le manque de jugeote et de foi des états-majors, l’incurie, la misère, le massacre. Autant mourir en beauté ! Il était jeune, sportif, insouciant, téméraire. Il avait pour tout bagage son franc-parler, son ironie, une attitude désinvolte, un air de se fiche de tout comme l’an quarante, et quelques langues (l’anglais, l’allemand, le russe) qui lui rendirent bien des services. Dans un monde plombé