Après avoir commencé à l’évoquer Dans le silence de la nuit, introduction de L'Homme foudroyé écrit entre 1941 et 1944, Blaise Cendrars revient dans ce second volet de ses mémoires sur cette putain de drôle de guerre de 14. « La Main coupée est un monument aux morts de la Grande Guerre, comme ceux sur lesquels on a inscrit, année par année, les noms des disparus, morts identifiés mais morts obscurs, sans gloire. Blaise Cendrars a prélevé dans sa mémoire les bribes de la vie et de la mort de ses compagnons de combat, des hommes ordinaires, tragiques ou cocasses, échappant à toute vision héroïque ou édifiante. Lorsqu'elle paraît en 1946, La Main coupée est plus qu'un témoignage retardé, c'est une réparation. Réparation parce qu'elle est un mémorial contre l'oubli, réparation aussi pour son auteur qui, dans cet ouvrage tardif, s'autorise enfin, librement, à parler longuement de la guerre, de sa guerre, comme il ne l'avait jamais fait, comme personne ne l'avait jamais fait. » Jacques Bonnaffé
C’est dans le plus intense des bonheurs ou dans le pire des drames que la grandeur d’un homme se révèle. Blaise Cendrars, poète amoureux fou de la vie qui enterrera beaucoup d’amis dont l’illustre Guillaume Apollinaire en 1918, a vingt-sept ans lorsqu’il s’engage dans la Légion. Il s’est marié d’impromptu la veille de monter au front. Ce pauvre poilu qui ne payait pas de mine dans son falzar de curé, sa capote raide de boue aux pans déchirés par les barbelés, son képi de traviole à la visière cassée, ne pouvait s’empêcher de rigoler devant l’absurdité de cette grande guerre usinière, le manque de jugeote et de foi des états-majors, l’incurie, la misère, le massacre. Autant mourir en beauté ! Il était jeune, sportif, insouciant, téméraire. Il avait pour tout bagage son franc-parler, son ironie, une attitude désinvolte, un air de se fiche de tout comme l’an quarante, et quelques langues (l’anglais, l’allemand, le russe) qui lui rendirent bien des services. Dans un monde plombé