"La peur des mort" paul valery
C’est que rien d’inutile, rien de disproportionné n’apparaît dans la conduite de l’Animal. Il n’est à chaque instant que ce qu’il est. Il ne spécule pas sur des valeurs imaginaires, et il ne s’inquiète pas de questions auxquelles ses moyens ne lui permettent pas de répondre.
Il en résulte que le spectacle de la mort de ses semblables, qui peut, dans le moment même, l’émouvoir ou l’irriter quelquefois, ne lui cause pas de tourments illimités et ne modifie en rien son système tout positif d’existence. Il semble qu’il ne possède pas ce qu’il faut pour conserver, entretenir et approfondir cette impression.
Mais chez l’Homme, qui est doué de plus de mémoire, d’attention et de facultés de combinaison ou d’anticipation qu’il n’est nécessaire, l’idée de la mort, déduite d’une expérience constante et, d’autre part, absolument incompatible avec l’idée de l’être et l’acte de la conscience, joue un rôle remarquable dans la vie. Cette idée excite au plus haut degré l’imagination qu’elle défie. Si la puissance, la perpétuelle imminence, et, en somme, la vitalité de l’idée de la mort, s’amoindrissaient, on ne sait ce qu’il adviendrait de l’humanité. Notre vie organisée a besoin des singulières propriétés de l’idée de la mort.
L’idée de la mort est le ressort des lois, la mère des religions, l’agent secret ou terriblement manifeste de la politique, l’excitant essentiel de la gloire et des grandes amours – l’origine d’une quantité de recherches et de méditations.
Parmi les produits les plus étranges de l’irritation de l’esprit humain par cette idée (ou plutôt par ce besoin d’idée que nous impose la constatation de la mort des autres) figure l’antique croyance que les morts ne sont pas morts, ou ne sont pas tout à fait morts.
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