La philosophie a-t-elle encore une place dans notre monde ?
Nous ne pouvons qu'être sensibles à la situation difficile de la philosophie dans notre culture. En effet, en perte de vitesse, elle perd d'autant plus confiance dans ses fins et dans ses moyens. Son identité est en voie de dissolution, voire dissoute. Elle vit un temps de mépris, en tout cas, un temps de repli face à l'émancipation des sciences. Ces dernières ont conquis en effet leur autonomie comme sciences exactes, sciences de la nature ou sciences humaines. De plus, le succès social et l'efficacité de la science, bref l'épopée scientifique et technique, ont, semble-t-il, accaparé la vérité. Et, quand la philosophie se propose d'éclairer son essence, cette dernière se manifeste plus sous une forme voilée que transparente. C'est pourquoi il s'agit de s'interroger sur la fonction de la philosophie, ce qui nous conduit à nous interroger sur l'essence constitutive de cette activité dont l'éloge par les philosophes semble plus résider dans la ferveur pour des problèmes sans solution que pour des conclusions ou résultats définitifs.
Les sciences ont conquis leur autonomie. La physique ne découle plus de la métaphysique, de l'ontologie, de la théologie ou de la cosmologie. Les notions de liberté ou d'action trouvent un terrain plus propice à l'analyse dans la psychologie, la sociologie, le droit politique ou l'anthropologie. Comment parler du vivant sans recourir aux concepts de régulation, de téléonomie ou à la notion d'horloge aveugle du programme génétique ? Peut-on parier de la conscience ou de la subjectivité sans reconnaître le bien-fondé de la description des structures surdéterminantes des théories de l'inconscient social ou psychologique ? Comment concevoir la communauté sociale ou politique en négligeant les concepts de conflit, de division ou de contrôle social ? Les sciences comme domaines d'objet constitués ont élaboré des ordres plus ou moins complexes pour rendre compte de