Le bonheur
Voici que tous les gens du souk se mirent à courir ; Fatma Bziouya et ma mère répétaient « Allah ! Allah ! », se plaignaient à haute voix de leurs douleurs de pieds que la foule écrasait, essayaient de retenir leurs Haïks emportés par le courant.
Enfin, passèrent mon père et le courtier se tenant mutuellement par le collet. Le souk leur faisait cortège. Les deux hommes avaient les yeux rouges et de l’écume au coin des lèvres. Mon père avait perdu son turban et le dellal avait une tache de sang sur la joue.
Ils s’en allèrent suivis par les badauds.
Ma mère, la voisine et moi, nous nous mîmes à pleurer bruyamment. Nous nous précipitâmes au hasard, à leur poursuite. Nous débouchâmes au souk des fruits secs. Aucune trace des deux antagonistes ni de leur cortège. Je m’attendis à voir des rues désertes, des étalages abandonnés, des turbans et des babouches perdus dans la panique générale. Je fus déçu. Aucune trace de la bagarre n’avait marqué ces lieux. On vendait et on achetait, on plaisantait et de mauvais garnements poussaient l’indifférence jusqu’à chanter des refrains à la mode.
Notre tristesse devenait étouffante dans cette atmosphère. Nous sentions tout notre isolement. Ma mère décida de rentrer.
Il ne sert à rien, ajouta-t-elle, de courir dans toutes les directions. Rentrons pour attendre et pour