Le bonheur, notion aussi abstraite que complexe, et pourtant universelle, semble renvoyer inéluctablement à l'indéfinissable, voire à l'indicible, pour employer un terme cher à Wittgenstein . Et cela se comprend d'autant mieux que nous savons que la diversité humaine est presque infinie, de telle sorte que chaque bonheur particulier est l'ordonnance subtile et changeante de bonheurs singuliers. Autrement dit, les bonheurs particuliers sont pratiquement infinis. Il n'y a donc aucune raison pour que leur diversité se résolve spontanément en une harmonie, d'autant qu'elle devrait encore correspondre exactement aux ressources disponibles. Le bonheur n'est-il donc qu'une illusion? Ne renvoie-t-il pas à un au-delà beaucoup plus complexe? N'est-il pas ontologiquement parlant inscrit dans l'homme? N'est-il pas la téléologie de toute vie sur terre? Autrement dit, le bonheur n'est-il pas plus qu'un concept? Vous l'aurez compris, notre propos ne consiste pas tant à dénoncer le bonheur comme illusion, idéal de l'imagination ou utopie, qu'à tenter d'en faire ressortir les aspects tant négatifs que positifs. Le bonheur comme en deçà et/ou au delà de la raison ne possède-t-il pas une valeur intrinsèque? Peut-être même est-il source d'énergie, force vitale, puissance de persévérer dans son être pour tout individu désirant.
La nature humaine est par essence concupiscente, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que la conception hédoniste ait fait reposer le bonheur dans la jouissance. En effet, si l'on considère que le bonheur est un état durable de joie et/ou de plaisir, le faire reposer dans la satisfaction de tous les désirs le condamne à un morcellement infini, le bonheur n'étant plus composé que d'instants successifs de «bonheur» mis bout à bout. Le bonheur ne serait-il donc que la somme de tous les instants de «bonheur»? Il y a bien là illusion. Et sans doute est-ce la raison pour laquelle l'eudémonisme, contrairement à l'hédonisme, a préféré lier le bonheur à la vertu, à la vie