le chapitre III « du droit du plus fort »
Le 1er § débute sur une constatation de fait qui se trouve être d’ailleurs le nœud même du problème : le droit du plus fort est sujet au changement. Le plus fort n’est pas nécessairement toujours le plus fort. Il est, en effet, toujours susceptible d’être renversé par un plus rusé (l’autre par la ruse pouvant par exemple profiter d’un petit instant d’inattention devenant par là même le plus fort) ou encore par une coalition des plus faibles. D’autre part, la force se perd, ne serait-ce que par le vieillissement. Ainsi, un pouvoir fondé sur la force est précaire, constamment menacé.
Aucune force n’est légitime en elle-même, elle reçoit sa légitimité de l’extérieur. Qu’est-ce qui donne alors à une force sa légitimité ? C’est sa conformité au droit, c’est-à-dire aux exigences morales. Considérée en elle-même, la force est sans valeur ; du point de vue moral, elle n’acquiert une valeur que par sa soumission au droit. De la même manière, l’obéissance n’est pas en soi une valeur ; obéir pour obéir est stupide ; l’obéissance n’a de la valeur que si elle représente pour chacun un devoir, une exigence morale, ce qui signifie qu’elle ne saurait être obtenue par la seule contrainte.
« Transformer sa force en droit », c’est la mettre au service du droit et la faire accepter librement par ceux auxquels on l’applique. Mais s’ils l’acceptent librement, elle n’est plus imposée et devient alors légitime. Dès lors, ceux qui l’auront acceptée se feront un devoir et auront le devoir de la respecter. Le plus fort a un pouvoir d’autant plus solide qu’il a réussi à transformer sa force en droit, en ajoutant, à sa force physique, une force morale qui l’assure du consentement et du soutien de la population. Mais s’il ne transforme pas sa force en droit, les autres ne se sentiront pas obligés de la respecter, et s’ils obéissent cela ne sera que par contrainte et se révolteront assurément dès qu’une occasion se présentera.