Le mal
Dans quelle mesure votre lecture des œuvres du programme vous permet-elle de souscrire à ce jugement de Francis Wolff ?
Le mal a souvent été conçu comme une entité personnelle ou substantielle. Mais, loin de toute personnification ou substantialisation, le mal serait de l’ordre de l’Être selon une modalité spécifique : la privation. Il est sur le mode de ce qui ne devrait pas être et qui pourtant « est ». Référé à un être qui mérite d’être, en ce qu’il est vraiment, le mal se déclare comme un manque d’être. Ce n’est pas que de lui-même il conteste ce qu’il est et entretient à son égard quelque révolte ou dénonciation à titre de contradiction interne. C’est que le mal se double, pour celui qui le subit ou le commet, d’une tension vers une norme idéale que non seulement il n’incarne pas, mais qu’il contredit et empêche d’advenir dans le réel. Ce pourquoi Francis Wolff conçoit que le mal est comme un « ‟non” à ce qui est » ; et que, tout au contraire de la réalité du mal, il « aurait fallu que les choses ne fussent pas ce qu’elles sont. » Le mal appelle donc, dans le temps même de sa réalité, son éradication : « il faudrait changer le monde ».
Mais le mal, s’il est référé à une norme, quelle est cette norme identifiée au bien ? Comment la définir en son contenu ? N’y-a-t-il pas une pluralité de maux et une pluralité de normes ? Ne serait-ce qu’une norme physiologique pour le mal physique et une norme morale pour le mal moral ? Enfin, considérer le mal, physique ou moral, comme une privation, comme un manque, n’est-ce pas manquer la pleine effectivité du mal lorsqu’il est éprouvé ou commis ? La douleur vécue est-elle simple absence d’un bien-être ? Quant au mal moral, — qui n’est pas une « chose » mais un « acte » : le sujet qui le commet le fait-il par défaut