Le regard chez racine
On sait combien le langage racinien, si noble et si harmonieux, mais aussi très sobre, traduit avec une efficacité inégalable la violence des sentiments. Réduire cependant l’œuvre de Racine à sa simple expression verbale, si heureuse soit-elle, ou à son écriture versifiée, si musicale qu’elle puisse être, serait une grossière erreur. Déjà en tant qu’œuvres de spectacle, c’est-à-dire étymologiquement vouées à être représentées et vues sur une scène, les pièces de Racine s’inscrivent dans une longue tradition théâtrale où l’on montre des personnages qui se voient et racontent ce qu’ils ont vu – faisceaux multiples de regards qui se croisent et s’entrecroisent et dont Jean Starobinski a bien compris l’importance dans son célèbre article consacré à Racine et la poétique du regard. Ce dernier devine dans le regard racinien « l’acte par excellence ». L’examen de nos trois pièces montre en effet la place prépondérante du regard. Ramenés dans les espaces clos que sont la salle du palais royal, la chambre du palais de Néron ou, de façon plus relative par son ouverture sur la mer, le port de Nymphée, les personnages s’affrontent sur un plateau de théâtre presque nu dont le vide, souligne encore Starobinski, « semble n’exister que pour être traversé de regards ». Si les gestes, les coups et les étreintes sont rares, voire inexistants, nombreuses en revanche sont les vues et les entrevues. On ne cesse de voir et de se voir dans le théâtre de Racine, ou de rapporter ce que l’on a vu, et si ces regards échangés et partagés remplissent d’abord le vide de l’espace scénique, ils sont surtout les vecteurs des multiples passions des personnages, amour, haine ou souffrance, au service de l’intensité tragique tissée par le dramaturge. S’intéresser au motif du regard dans La Thébaïde, Britannicus et Mithridate amène donc aussi bien à étudier la présence et les fonctions d’un acte concret que les