« O divine Inconstance… »
Théodore d’Agrippa d’Aubigné, Poésies Diverses

Ô divine Inconstance, aie pitié de moi
Guéris en me blessant ma plaie et mon émoi,
Pardonne le dépit de mon âme pressée,
Pardonne-lui les maux qu'au premier offensée,
Elle a vomi sur toi frénétique en courroux.
Change sa volonté, ton nom lui sera doux,
Et comme j'ai tourné le médire en louange,
Fais qu'un cœur amoureux à n'aimer plus se change.
Je te ferai rouler un autel d'un ballon,
J'immolerai dessus des feuilles qu'Aquilon
Ton père nous fait choir au pluvieux automne,
Je t'offrirai de l'air d'une cloche qui sonne,
Et le coq qui virait sur le haut du clocher,
Dansant de cent façons ; je courrai te chercher
De l'eau et du savon, et ferai à merveilles
D'une paille fendue envoler des bouteilles ;
J'offrirai du duvet, plumes, fleurs et chardons,
Et de l'eau de la mer et des petits glaçons,
Un caméléon tout vif, et au lieu de paroles,
Je dirai sans propos cent mille fariboles,
Et sacrant tout cela à ton nom immortel
Je brûlerai encor et le temple et l'autel [...]

Lecture Analytique du poème

Il s’agit d’un texte de Théodore d’Agrippa d’Aubigné, extrait de « Poésies Diverses ». Baroque par son art du mouvement et de la surprise, par son lyrisme biblique, d’Aubigné succombe moins que ses contemporains à l’attrait du mot rare et archaïque. C’est plutôt l’artiste d’une langue pure et usuelle, enrichie parfois de termes régionaux. De la Bible, il hérite le goût des parallélismes, des antithèses, des images fréquemment hyperboliques. Dans ce poème, d’Aubigné expose sa réflexion sur l’inconstance. Quel paradoxe le poète essaie-t-il de nous faire comprendre par le culte de l’inconstance ? On analyse en premier temps le jeu sur le topo du poète martyr de l’Amour Inconstant, puis la sensibilité baroque qui naît de celui-ci.

I. Un jeu sur le topo du poète martyr de l’Amour Inconstant

a) Le poète blessé…
• Registre pathétique : « pitié » « plaie » « âme » « moi »…