Lecture
J’irais alors jusqu’à dire que la lecture elle-même est une écriture. La vie imaginaire du lecteur constitue en effet un travail d’écriture interne symétrique dans sa tête de celui qu’a produit avant lui l’écrivain. Le lecteur ne se contente pas de déchiffrer, il crée. Selon Sartre, “le lecteur a conscience de dévoiler et de créer à la fois, de dévoiler en créant.” La lecture en effet est une invention, une projection, une recomposition personnelle. Pour chacun de nous les mots ont une histoire différente. Ils renvoient à des réalités différentes, ils portent la marque de perceptions et d’expériences tout à fait singulières. Chacun de nous possède par ailleurs sa syntaxe personnelle, c’est-à-dire sa manière propre d’articuler les images et les pensées les unes aux autres, selon son rythme propre.
Encore une fois, au cinéma, je ne possède pas cette même liberté: je suis mené de bout en bout par l’enchaînement des plans et des séquences, je ne peux pas m’en sortir, je ne peux pas laisser mon esprit suivre ses propres méandres, je ne peux pas ajouter mes propres chapitres rêveurs à l’histoire. Le film, surtout s’il est réussi, me happe et me maintient en son pouvoir. Il y a en lui quelque chose de totalitaire (ce qui explique que nous puissions passer des heures à regarder des navets).
Dans un article du Monde de 1981, Bertrand Poirot-Delpech opposait la liberté de la lecture à “la dictature poisseuse de l’image identique pour tous” . Il y a en effet une univocité de l’image qui s’impose avant tout à l’oeil par son évidence. Une image, ça se regarde, mais ça ne se discute pas, car ça ne montre que ce que ça veut montrer, et ça ne dissimule que ce que ça veut dissimuler. Flaubert disait : “Une femme dessinée ressemble à une femme voilà tout. L’idée est dès lors fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu’une femme écrite fait rêver à mille femmes.”
Dès lors, la valeur de la lecture, qui est une compagnie,