Les aveugles
« Les aveugles »
Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.
Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,
Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.
Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,
Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,
Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
Baudelaire, premier poète de la modernité a été attiré par le spectacle de la ville contrairement à la nature, source pour lui d’excitation intellectuelle et d’ivresse sensuelle par laquelle il essaie de se divertir de son spleen dans les 18 poèmes des Tableaux parisiens, deuxième section de l’édition de 1861 des Fleurs du Mal. Il est en particulier fasciné dans des poèmes dédiés à Victor Hugo par des marionnettes grotesques mais profondément humaines, exilées et solitaires qu’on retrouve dans le sonnet suivant intitulé « Les aveugles », personnages plongés dans une nuit atroce et aspirant au ciel, auprès desquels le poète semble se ranger.
Dans une lecture analytique de ce poème d’octobre 1860, nous étudierons ses structures, ses registres et l’invitation à la méditation.
I- Les structures de ce poème
1) Structure poétique
- Sonnet irrégulier : 4 rimes pour les 2 quatrains, rimes embrassées : sonnet à l’italienne
- Les rimes sont suffisantes : une seule rime riche en « eugle » qui met en valeur le titre
- L’alexandrin des rythmé de façon irrégulière : met en valeur le fait que les aveugles aussi sont une dissonance, une fêlure
- Rejet interne « au loin » (v6), rejet externe « au ciel » (v7) : ces nombreux