Lettre de turgot au roi sur la libéralisation de la société
Sire
En sortant du cabinet de Votre Majesté, encore plein du trouble où me jette l’immensité du fardeau qu’elle m’impose, agité par tous les sentiments qu’excite en moi la bonté touchante avec laquelle elle a daigné me rassurer, je me hâte de mettre à ses pieds ma respectueuse reconnaissance et le dévouement absolu de ma vie entière. Votre Majesté a bien voulu m’autoriser à remettre sous ses yeux l’engagement qu’elle a pris avec elle-même, de me soutenir dans l’exécution des plans d’économie qui sont en tout temps, et aujourd’hui plus que jamais, d’une nécessité indispensable. J’aurais désiré pouvoir lui développer les réflexions que me suggère la position où se trouvent les finances ; le temps ne me le permet pas, et je me réserve de m’expliquer plus au long quand j’aurai pu prendre des connaissances plus exactes. Je me borne en ce moment, Sire, à vous rappeler ces trois paroles : Point de banqueroute ; Point d’augmentation d’impôts ; Point d’emprunts. Point de banqueroute, ni avouée, ni masquée par des réductions forcées. Point d’augmentation d’impôts, la raison en est dans la situation de vos peuples, et encore plus dans le cœur de Votre Majesté. Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l’augmentation des impositions. II ne faut en temps de paix se permettre d’emprunter que pour liquider les dettes anciennes, ou pour rembourser d’autres emprunts faits à un denier plus onéreux. Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette, et assez au-dessous pour pouvoir économiser chaque année une vingtaine de millions, afin de rembourser les dettes anciennes. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l’État à la banqueroute. On demande sur quoi retrancher ; et chaque ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent