Madame bovary
Madame Bovary. Mœurs de province (1857)
Le roman le plus célèbre de Gustave Flaubert, dont la rédaction a pris plusieurs années de la vie de son auteur (1851-55), est souvent victime d’une banalisation qui en méconnaît l’inestimable valeur littéraire, au profit d’une lecture simpliste et, dans la plupart des cas, erronée.
Le roman étant inséré dans un cours intitulé « Amour et libertinage au fil des siècles », il vaut mieux éviter immédiatement tout malentendu : comme le souligne Erich Auerbach dans Mimesis, personne ne pourra jamais définir Madame Bovary comme un roman d’amour, bien que l’amour soit l’un des thèmes portants de cet ouvrage. En effet, l’amour n’est pour Flaubert qu’un aspect de la culture romantique, dont il décide d’écrire un véritable épitaphe.
La collocation chronologique de la gestation et de la parution du roman ne laisse aucun doute : le Romantisme a désormais épuisé ses sources, et sa fin est identifiée, en général, avec l’échec de la pièce théâtrale de Victor Hugo Les Burgraves (1843). Ce qui reste du mythe romantique est le désillusionnement causé par l’impossibilité de faire coexister un élan irrépressible vers l’absolu et une réalité qui est forcément limitée. Chateaubriand, représentant majeur de son époque, avait déjà pris conscience de l’impossibilité de cette ambition dans Le génie du Christianisme (1802), là où il décrit le vague des passions :
Il reste à parler d’un état d’âme, qui, ce nous semble, n’a pas encore été bien observé ; c’est celui qui précède le développement des grandes passions, lorsque toutes les facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; (…) On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l’on n’a plus d’illusions. L’imagination est riche, abondante et merveilleuse, l’existence pauvre, sèche et