Modalisation
Brusquement j'avais interrompu de jouer, l'attention, toute mon attention, captée par un serpent qui rampait autour de la case, qui vraiment paraissait se promener autour de la case; et je m'étais bientôt approché. J'avais ramassé un roseau qui traînait dans la cour — il en traînait toujours, qui se détachaient de la palissade de roseaux tressés qui enclôt notre concession — et, à présent, j'enfonçais ce roseau dans la gueule de la bête. Le serpent ne se dérobait pas: il prenait goût au jeu; il avalait lentement le roseau, il l'avalait comme une proie, avec la même volupté, me semblait-il, les yeux brillants de bonheur, et sa tête, petit à petit, se rapprochait de ma main. Il vint un moment où le roseau se trouva à peu près englouti, et où la gueule du serpent se trouva terriblement proche de mes doigts.
Je riais, je n'avais pas peur du tout, et je crois bien que le serpent n'eût plus beaucoup tardé à m'enfonœr ses crochets dans les doigts si, à l'instant, Damany, l'un des apprentis, ne fût sorti de l'atelier. L'apprenti fit signe à mon père, et presque aussitôt je me sentis soulevé de terre : j'étais dans les bras d'un ami de mon père!
Autour de moi, on menait grand bruit; ma mère surtout criait fort et elle me donna quelques claques. Je me mis à pleurer, plus ému par le tumulte qui s'était si opinément élevé, que par les claques que j'avais reçues. Un peu plus tard, quand je me fus un peu calmé et qu'autour de moi les cris eurent cessé, j'entendis ma mère m'avertir sévèrement de ne plus jamais recommencer un tel jeu.