Notre vision du monde doit-elle quelque chose au langage ?
Notre vision du monde doit-elle quelque chose au langage ?
Introduction
Tout naturellement, nous pensons que le monde est ce qui se trouve simplement « là », ce qui est extérieur à nous. Tout aussi naturellement, nous faisons du langage un moyen d'expression de nos affects, pensées et sentiments ; bref, nous l'entendons comme un instrument de communication et de description du « réel ». En d'autres termes, nous sommes toujours d'abord persuadés que les catégories de notre langage proviennent des articulations entre les choses, par exemple que c'est parce que le monde se répartit en sujets et en prédicats que notre langage articule ses propositions sous forme prédicative (c'est parce qu'il y a des choses comme « la craie » et des qualités comme « être rouge », que je peux formuler la proposition : « la craie est rouge »). Cependant, il suffit d'avoir voyagé un peu pour se rendre compte que les différentes langues ne produisent pas du sens de la même façon, qu'elles ne sont pas attentives aux mêmes articulations, ni aux mêmes différences : certaines peuplades sibériennes, qui disposent de plus de trente termes pour nommer la neige (suivant qu'elle tombe vite, lentement, qu'elle est dure, molle, humide, poudreuse, etc.), perçoivent effectivement trente neiges différentes, là où nous n'en voyons que quatre ou cinq. L'estonien ne distingue pas de genre masculin, féminin ou neutre, en sorte qu'on a peine à y voir un crapaud comme étant plus viril qu'une grenouille – mais la différence entre déclinaison brève et longue est essentielle, alors qu'elle ne signifie rien directement en français.
Les langues indo-européennes comme la nôtre font par exemple un partage marqué entre thème et rhème, c'est-à-dire entre « amour » et « aimer », « pluie » et « pleuvoir », « descente » et « descendre »…, autrement dit entre les termes portant sur des choses ou des substances et les termes portant sur des actions. Or il existe quantité d'autres