Nouvelle sur le thème de la rencontre : lou
"- Voyez, clament ils, ce que renferme le ventre de Paris ! Voyez comment, gorgées d'absinthe, les plus belles filles de France s'en vont tapiner sur les trottoirs des grands boulevards."
Celle là, il y a fort longtemps qu'elle ne parle plus. Ses yeux sont vides, son sourire énigmatique et sa bouche en cœur ne veulent plus rien vous dire. Elle avale ce qu'on daigne bien lui donner, se vêt de défroques de princesse déchue, dort dans un entassement de coussins duveteux et d'immenses draps épais sous des combles près du Sacré-cœur, vit dans son rêve éthylique et anisé. La plage de son esprit est noire et triste. Étendue dans ses linges de satin, son nom est volupté et elle le calligraphie de ses membres suaves sur le corps de ses millions d'amants. Entre deux sucres verts et amers. C'est pourtant comme si chaque coup de rein érodait progressivement sa conscience jusqu'à l'obscurité finale.
La voilà qui erre comme un fantôme dans les faubourgs en secouant ses longs cheveux velours. Son front fier se dissimule par pudeur sous une foule indisciplinée de mèches mousseuses et ondoyantes de pétrole, ornementées d'objets insolites, gardiennes éternelles de sa féminité, la féminité de Lou. Ses yeux sont des boules d'or dont les paupières lourdes, fumées et charbonneuses forment les écrins précieux, prolongées par un voile de cils comme autant de dentelle pour autant de mystère. Sa bouche, une tache de sang qui éclabousserait par hasard cette porcelaine blafarde et à laquelle on attribuerait un présage d'amour ou de mort. Un seul de ses baisers vend plus de rêve que toutes les drogues et potions de ce monde. La vouivre est si jolie que partout on se la dispute tandis qu'elle vous fuit dans les mains comme l'eau, car le peu que vous retenez d'elle vaut la peine de l'effort. Comme l'eau séquanienne