Paix impossible guerre improbable.doc
Dans ses Mémoires, parus quelques mois avant sa mort en 1983, Raymond Aron relate « l’illumination » qui détermina son parcours de chercheur en sciences humaines et sociales. Nous sommes alors au début des années 1930. Le jeune Aron, tout juste sorti de l’École normale supérieure auréolé de l’agrégation de philosophie, part pour l’Allemagne à la recherche d’un sujet de thèse : « Je cherchai un sujet de réflexion qui intéressât à la fois le cœur et l’esprit, qui requît la volonté de rigueur scientifique et, en même temps, m’engageât tout entier dans ma recherche. Un jour, sur les bords du Rhin, je décidai de moi-même. Ce que j’avais l’illusion ou la naïveté de découvrir, c’est la condition historique du citoyen ou de l’homme lui-même. Comment français, juif, situé à un moment du devenir, puis-je connaître l’ensemble dont je suis un atome, entre des centaines de millions ? Comment saisir l’ensemble autrement que d’un point de vue, un entre d’autres innombrables ? Jusqu’à quel point suis-je capable de connaître objectivement l’histoire – les nations, les partis, les idées dont les conflits remplissent la chronique des siècles – et mon temps ? (…) Je devinai peu à peu mes tâches : comprendre ou connaître mon époque aussi honnêtement que possible, sans jamais perdre conscience des limites de mon savoir ; me détacher de l’actuel sans pourtant me contenter du rôle de spectateur (1). »
Dans ce passage des Mémoires, Aron ne fait pas que relater le choix d’un thème de recherche. Il exprime aussi la nature existentielle de ce choix. Enseignant à Cologne puis à Berlin entre 1930 et 1933, Aron assiste à la montée du nazisme, tout en ayant l’impression de ne pas posséder les outils nécessaires