Passages de rousseau
[Homme, ne cherche plus l’auteur du mal]
Si l’homme est actif et libre, il agit de lui-même ; tout ce qu’il fait librement n’entre point dans le système ordonné de la Providence, et ne peut lui être imputé. Elle ne veut point le mal que fait l’homme, en abusant de la liberté qu’elle lui donne ; mais elle ne l’empêche pas de le faire, soit que de la part d’un être si faible ce mal soit nul à ses yeux, soit qu’elle ne pût l’empêcher sans gêner sa liberté et faire un mal plus grand en dégradant sa nature. Elle l’a fait libre afin qu’il fît non le mal, mais le bien par choix. Elle l’a mis en état de faire ce choix en usant bien des facultés dont elle l’a doué ; mais elle a tellement borné ses forces, que l’abus de la liberté qu’elle lui laisse ne peut troubler l’ordre général. Le mal que l’homme fait retombe sur lui sans rien changer au système du monde, sans empêcher que l’espèce humaine elle-même ne se conserve malgré qu’elle en ait. Murmurer de ce que Dieu ne l’empêche pas de faire le mal, c’est murmurer de ce qu’il la fit d’une nature excellente, de ce qu’il mit à ses actions la moralité qui les ennoblit, de ce qu’il lui donna droit à la vertu. La suprême jouissance est dans le contentement de soi-même ; c’est pour mériter ce contentement que nous sommes placés sur la terre et doués de la liberté, que nous sommes tentés par les passions et retenus par la conscience. Que pouvait de plus en notre faveur la puissance divine elle-même ? Pouvait-elle mettre de la contradiction dans notre nature et donner le prix d’avoir bien fait à qui n’eut pas le pouvoir de mal faire ? Quoi ! pour empêcher l’homme d’être méchant, fallait-il le borner à l’instinct et le faire bête ? Non, Dieu de mon âme, je ne te reprocherai jamais de l’avoir faite à ton image, afin que je pusse être libre, bon et heureux comme toi.
C’est l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis,