Photographie absolue et mémoire virtuelle
Il y a pour chaque homme, une image à trouver qui anéantit l’univers. Louis Aragon, Le Paysan de Paris
Moi, je vois le camion encore plus si je ne le vois pas. Marguerite Duras, Le Camion
On sait, au moins depuis Proust, sinon depuis le « premier Freud », que notre mémoire fonctionne selon un mode plus iconique que logique : parfois convoquée par notre volonté, elle fait surgir des images récurrentes, dont l’organisation varie assez peu, qui rassurent par leur intangibilité, presque à la façon d’un objet transitionnel qui nous rattacherait immuablement à notre origine nostalgique ; souvent convoquée par les événements ou les éléments (petits objets rencontrés par hasard et qui font remonter brutalement une part de mémoire brute, non conditionnée par du récit – ainsi la madeleine, les pavés et autres pans proustiens), elle produit des formes de flashs aveuglants, qui nous laissent d’abord titubant, puis nous invite à apprivoiser l’image oubliée, laquelle fait ainsi retour par surprise Mais ce qui compte dans chaque cas, c’est bien le caractère régressif de la mémoire, qui, contrairement au souvenir, cherche à échapper à la mise en mots (qui serait ainsi mise en bière de la mémoire…). L’image, contrairement au langage, restitue le passé intime sans l’informer à la mesure d’une syntaxe collective. Ça sort, ça vient, c’est à moi et à moi seul, tandis que les mots tentent en vain de verser dans le domaine public une image qui n’appartient qu’à moi - et dont j’aurais pu tout autant rêver que me souvenir… Si la photo joue depuis bientôt deux siècles un rôle si important dans le fonctionnement de notre mémoire (il n’y a qu’à regarder les piles d’album qui s’entassent sur les étagères familiales, et que même la photo numérique ne parviendra pas à amenuiser[1]), donc si la photographie joue ce rôle mémoriel ce n’est